Histoire de Revel Saint-Ferréol                                  CAHIERS DE L’ HISTOIRE - N°19 - Année 2014 - pp. 169/174

Cécile Guérau d’Arellano (1888-1976)

Une artiste peintre du Lauragais, oubliée !

par Christiane et Bernard Vialelle

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La famille de Las Cases est bien connue  dans le monde des Lettres car plusieurs de ses membres ont laissé de nombreux écrits, le plus célèbre d’entre eux étant Emmanuel de Las Cases, auteur du « Mémorial de Sainte-Hélène » publié en 1823. Mais on ignore que l’une de leurs descendantes,  native du Lauragais,  s’est illustrée dans le monde des Arts. Il est temps de sortir de l’oubli Cécile Guérau d’Arellano, l’une des arrière-petites-nièces du Mémorialiste de Napoléon. Artiste peintre aquarelliste, renommée  à son époque,  elle est restée dans l’ombre depuis un demi-siècle.

 

 

Descendante des Las Cases

Le Mémorialiste de Napoléon, Emmanuel de Las Cases (1766/1842)  avait un frère François (1769/1836) qui avait  épousé Joséphine de Baderon de St Géniès à Béziers, le 23/2/1808. De cette union naquirent six enfants dont Auguste (1815/1854) qui fait l’objet d’un article dans cette publication,  Félix (1819/1880) évêque de Constantine (Cahiers de l’histoire de Revel N° 18), et leur sœur Charlotte (1817/1889).

Cette dernière, grand-mère maternelle de Cécile, avait épousé un magistrat espagnol de Valence, Joaquim Guérau d’Arellano (1802/1874), le 24 janvier 1841, au domaine de La Chartreuse à Corneilhan (Hérault).
Leur fils Joseph (1841/1921), né et décédé à Corneilhan, s’était uni à Charlotte Rouquet le 29/8/1874 à Clermont-l’Hérault ; ils eurent un fils Carlos, ancêtre de la branche espagnole actuelle.

 
Après le décès de son épouse en 1879, en secondes noces, Joseph épousa, à Castelnaudary, le 25 octobre 1881,  Joséphine Rous, veuve de Gérard Gély qui lui donna 4 enfants : Félix (1883/1941), Henriette (1885/1961) Cécile (1888/1976) et Emmanuel (1890/1990). Les deux garçons étaient nés à Castelnaudary et les deux filles à Laurabuc, petit village du Lauragais.

La famille de Cécile Guérau d’Arellano

Joseph, le père de Cécile, avait étudié le droit à Valence mais il n’ exercera pas comme avocat. Il va vivre des rentes provenant de ses propriétés espagnoles.

En 1880, il hérite, de son oncle Mgr Félix de Las Cases, du domaine viticole de la Chartreuse à Corneilhan. Après son second mariage avec Joséphine Rous, il gère le domaine agricole des Canonges à Laurabuc près de Castelnaudary.

C’était un homme éclectique qui s’intéressait à la sculpture, à l’ébénisterie et au  jardinage. Il écrivait des poèmes ; le théâtre l’enchantait. Il peignait avec assiduité, copiant  les portraits de ses ancêtres de Las Cases notamment celui de Bartholomé, l’apôtre des Indiens (1484/1566)  et, bien sûr, celui d’Emmanuel, le Mémorialiste qui était,  par sa mère, son grand-oncle.


Emmanuel de Las Cases - Copie par Joseph d’Arellano  - Collection particulière

Habitant à Corneilhan, « Cécile avait, toute jeune,  fréquenté les milieux artistiques de Béziers groupés sous la bannière de Fernand Castelbon de Beauxhostes qui créa le vrai théâtre en plein air (dans les Arènes).
Ce fut pour la jeune fille un milieu choisi pour développer son sens artistique » ( M. Mordagne). 

Sa marraine était Cécile Robin, femme de son grand-oncle Auguste de Las Cases, neveu du Mémorialiste. Cette  artiste peintre, l’a sans doute guidée puis encouragée dans la voie de la peinture.  

La famille Guérau d’Arellano fréquentait Henri Bataille (1872/1922), propriétaire de Bordeneuve (aujourd’hui, La Marguerette) proche du domaine des Canonges, à Laurabuc. Celui-ci avait d’abord  fait des études aux Beaux-Arts ; il dessinait et peignait remarquablement ; il orienta  et soutint sans doute Cécile dans ses débuts. Devenu par la suite dramaturge et poète, il fit carrière dans le théâtre.
 

                

Cécile  d’Arellano jeune,  puis  un peu plus âgée
 Collection particulière 

Joseph Guérau d’Arellano dessiné par Henri Bataille  -  Collection particulière

De caractère très individualiste, Cécile alla dans les ateliers de la capitale et à l’Ecole du Louvre pour perfectionner son jeune talent de peintre. Elle s’adonna à l’aquarelle puis aux effets de contre-jour et aux études à la lampe. Son maître était Pierre Vignal (1855/1925), peintre aquarelliste, orientaliste qui avait beaucoup voyagé dans les pays méditerranéens et à Venise (L’art et le ciel vénitiens - 1925)

Pierre Vignal (1855/1925)
Collection particulière

 Il enseignait dans l’ancien atelier d’Ingres, 7 rue Voltaire à Paris. Il  lui  apprit « la liberté des touches sans tomber dans le conventionnel. Sincère, Cécile d’Arellano fixait en notations rapides ce que sa perception vive de la poésie des choses lui a livré » (Art méridional  Toulouse – 1937).

 

        

Essai de copie d’une aquarelle de Pierre Vignal 

Un pont de Venise  -   Collection particulière

Après le décès de Pierre Vignal, elle fut l’élève de Louis-François Biloul (1874/1947), peintre coloriste, portraitiste et auteur de nus.

 

 

 

 

 

 

Expositions

Au Salon des Artistes Français de 1920, Cécile (32 ans)  expose, au Grand Palais,  «Paysage du Midi ». Presque chaque année, jusqu’en 1935, l’une de ses œuvres est sélectionnée.  

Ses tableaux, réalisés la plupart du temps à l’aquarelle,  représentent des paysages : «Corneilhan», (1927) «Laurabuc», (1933) «Crabonegado», (1935)  ou du mobilier : «Le fauteuil bleu» (1923) ou bien des intérieurs : «La chambre en toile de Jouy», (1929)

  

Peinture murale        

   

      Paysage du Midi  -  Aquarelle 1920  -  Salon des Artistes Français - Collection particulière
 

        

« Laurabuc » -  Aquarelle  -  1933 Salon des Artistes Français -  Collection particulière           

    « Crabo Negado »  - Aquarelle - 1935  Collection particulière
  

En 1930, Cécile et sa sœur Henriette viennent vivre, avec leur mère,  au domaine des Canonges à Laurabuc. Elles en héritent, en 1933, au décès de leur mère. Cécile avait installé son atelier au premier étage, près de sa chambre,  dans la partie gauche de la demeure.


Le domaine des Canonges

Elle exposait régulièrement au Salon des Artistes Méridionaux de Toulouse : l’une de ses toiles intitulée  « Un soir de Vent» représentait  le domaine de la Chartreuse à Corneilhan (Hérault), ancienne propriété viticole de ses grands-parents.
Un  dessin à l’encre de Chine, d’abord exécuté par l’artiste  pour « Art Méridional » de Toulouse, fut  aussi  accroché au Salon de Paris en 1937. On y retrouve sa manière large et vigoureuse d’une audacieuse spontanéité.
 


Encre de Chine  -  Dessin  - 1937  - «  Art Méridional »

Son photographe,  François-Antoine Vizzavona (1876/1961), résidant 65 rue du Bac à Paris, a  contribué, grâce à ses clichés,  à la popularité de l’artiste-peintre à travers le monde.

A partir de 1937, Cécile dessine au crayon des esquisses de portraits, des silhouettes et exécute des peintures. « Ce qu’elle préfère, c’est le contre-jour de la lampe familiale avec ses pénombres vivantes, les aquarelles charpentées de zigzags magistraux, l’âme des choses qui murmure au coin d’un salon, d’un berceau de verdure ou d’une tapisserie aux riches moires d’antan. Ses dessins ont étonné et surprennent encore par la suggestion impeccable du raccourci, de l’essentiel » (Jean Carles – 1937).

                             

Etude à la croisée  -  Aquarelle – Collection particulière           Portrait  -  Dessin au crayon rehaussé de couleurs 1950  - Collection particulière

L’artiste expose à  Carcassonne, Béziers,  Marseille et Nice ; divers musées lui achètent des tableaux. Elle obtient des médailles d’or à Colmar, Gérardmer, Saint-Dié, Poitiers, Toulouse et Paris. Mais la guerre amène  une interruption des expositions et un ralentissement dans sa carrière.
En 1953, elle est primée à Deauville. En 1955, le Salon de Paris accroche l’un de ses tableaux : «La maison dans la nuit »,  dessin à l’encre qui représente à nouveau La Chartreuse de Corneilhan, maison d’habitation de son père.
Elle diversifie alors ses moyens d’expression, utilisant des techniques mixtes, elle exécute des dessins au fusain, au pastel, rehaussés de couleurs : «Ciel de Molitg-les-Bains» (1954) où elle va régulièrement en cure. 
En décembre 1959, elle représente «Castelnaudary sous la neige», dessin à l’encre rehaussé de couleurs, exposé au Palais des Beaux-Arts de la ville de Paris.


« Castelnaudary sous la neige » - 1959

L’artiste et la politique

Cécile d’Arellano, artiste indépendante, a été conseiller municipal à Laurabuc : « Je trouvais ça embêtant lorsqu’il fallait aller à la mairie car je n’avais jamais compris comment j’ai été mise là dedans. Les artistes ne s’occupent pas de politique ni d’un pays. Ils en ont assez avec la nature et les couleurs ».

A partir de 1966, elle produit des esquisses à l’encre de chine, parfois colorée : «Femme assise »,  des silhouettes de femmes  faisant des travaux manuels : couture ou  broderie. Ses œuvres sont publiées dans divers dictionnaires et guides d’art international et dans l’annuaire national des Beaux-Arts de Paris.

Reconnaissance internationale

En 1967, elle est sélectionnée avec 100 peintres pour une exposition de trois mois, sur le continent   américain : de Buenos-Aires à Montréal en passant par Panama et New-York.
Elle reçoit des invitations pour des expositions au Brésil, en Finlande, en Angleterre, en Italie, en Allemagne où son art est reconnu.

Peintre du crépuscule

L’artiste  est sensible à la lumière particulière du soir : «J’attends des modèles, des têtes de caractère ;  j’aime prendre ma palette à la tombée de la nuit. Regardez ce bleu se détachant sur le vert de cette œuvre tardive, il faudrait accrocher les couleurs à la toile tandis que le jour tombe, ce serait merveilleux » (Midi Libre).
En octobre 1971, Maître Cécile d’Arellano, peintre de grand talent dont les chefs d’œuvre sont connus dans le monde entier,  est nommée membre honoraire de l’Académie de peinture de Rome.

Le 5ème Salon des Artistes Peintres du Lauragais, ouvert le 7 mai 1972 à Castelnaudary, présente l’une de ses gouaches : «Eclairage  à la lampe» où la pâte, modelée, donne une impression d’irréel et de mystère. C’est le portrait clair-obscur, en contre-jour, de  son père fumant la pipe qu’elle avait « croqué » un soir.
« Chaque toile, chaque aquarelle a son cachet particulier et transpire à travers celles-ci la passion de l’art. Des milliers d’œuvres ont jalonné sa vie de peintre et deux à trois cent toiles ont été vendues à travers le monde » (M. Mordagne). 

 

 

 Allée d’oliviers  -  Aquarelle  -  Collection particulière

Maître Cécile d’Arellano, Sociétaire des Artistes Français, est restée célibataire ; elle était, selon elle, «mariée avec son art».

 

Membre honoraire des artistes-peintres du Lauragais, officier de l’Instruction publique, l’artiste figurait en bonne place dans les lexiques artistiques. « Belle personnalité de coloriste, éprise d’harmonies somptueuses et de notations décoratives, elle s’imposait à l’attention de la critique par la sincérité et la ténacité de ses recherche » (Midi Libre).
 

 

C. d’Arellano   Sociétaire  des Artistes Français

Cécile Guérau d’Arellano est décédée le 13 octobre 1976, à 88 ans, au Domaine des Canonges à Laurabuc (Aude). Elle est inhumée au cimetière de l’Est à  Castelnaudary avec sa sœur Henriette dans la tombe de la famille Gély.
« Mieux que les achats des musées ou les médailles ramenées par ses tableaux après les expositions, une chose très rare l’a récompensée : la reconnaissance de son talent » (L. Michel  -  « Art méridional »).
 

                   

                                                            Cécile Guérau d’Arellano (Laurabuc : 1888/1976)

Sources :

Art méridional – Toulouse – Mars 1937
Midi Libre 1923/1971/1976
M. Maurice Mordagne : « Les oasis du Lauragais et leurs hôtes » -  1954 – Mémoires de la Société des Arts et des Sciences de Carcassonne
M. Jean Carles : AUTAN, journal de la Maison des jeunes et de la culture de Castelnaudary  – 1950

Remerciements :

M. Cristófol Guerau d’Arellano
M. et Mme Heinz Boos
M. Francis Falcou
M. Arnaud Ramière de Fortanier
M. Régis Ramière de Fortanier